Les fac-similés des manuscrits enluminés


Dans toutes les bibliothèques, il y a des trésors cachés, des manuscrits qui ont survécu aux blessures du temps. Mais, trop fragiles, ces oeuvres sont désormais inaccessibles. Dans le meilleur des cas, on consulte leurs textes sur des microfilms et l'on admire leurs enluminures derrière une vitrine, lors d'une exposition. Ce n'est pourtant plus une fatalité. Spécialisée dans la reproduction de livres enluminés du VIIIe au XVIe siècle, l'entreprise M. Moleiro, installée à Barcelone, réalise de fidèles répliques destinées aux amoureux des livres, à ceux qui les lisent avec les mains autant qu'avec les yeux, qui aiment les feuilleter et sentir l'odeur et le grain du papier. « Plus qu'un facsimilé, nous fabriquons un quasi-original. » Car le manuscrit est reproduit dans ses moindres détails : l'éclat des enluminures, mais aussi les taches d'usure et les déchirures de certains feuillets, ou encore l'épaisseur et la texture du parchemin. L'édition de chaque ouvrage se limite à neuf cent quatre-vingt-sept exemplaires numérotés, un chiffre choisi pour sa valeur symbolique. Certains sont destinés à la bibliothèque, qui peut donc garder l'original à l'abri et rendre accessible sa copie, les autres sont commercialisés. Chaque exemplaire est accompagné d'un livre d'études, écrit par des spécialistes en histoire médiévale, en histoire de l'art et en codicologie.

Ainsi, pour la première fois, les Grandes Heures d'Anne de Bretagne conservées à la Bibliothèque nationale de France ont été intégralement reproduites. Cet ouvrage de quatre cent soixante-seize pages (30,5 x 20 cm), rédigé en latin, fut réalisé entre 1503 et 1508 et enluminé par Jean Bourdichon. Si le livre d'heures, recueil de prières, de textes et de psaumes, est le type le plus courant d'ouvrage médiéval enluminé, celui d'Anne de Bretagne est un véritable joyau, digne de celle qui fut « En France deux fois reine/ Duchesse des Bretons/Royale et souveraine », épouse de Charles VIII en 1491, puis de Louis XII en 1499. Il comporte notamment quarante-neuf enluminures en pleine page, véritables compositions picturales d'un intérêt majeur pour l'histoire de l'art. Les trois cent trente-sept enluminures miniatures, en bordure des pages, sont également exceptionnelles. Elles offrent une représentation réaliste de centaines de plantes, désignées par leur nom en latin et en français, et font de ce livre de prière un véritable herbier où sont aussi figurés des insectes et de petits mammifères.

Un «quasi-original»
Au coeur du travail de reproduction : la photographie numérique. Le manuscrit, qui ne sort pas de la BnF, est photographié page par page. Les images sont ensuite envoyées à Barcelone. « La photo numérique présente certains avantages ; auparavant, l'usage d'Ektachromes ajoutait une étape dans la reproduction, un filtre supplémentaire entre l'original et sa copie, puisqu'il fallait les scanner. » Les photos, prises en format RVB (Rouge Vert Bleu), sont transformées en format CMJN (Cyan Magenta Jaune et Noir), afin que les couleurs soient fidèles au moment de l'impression. On peut alors passer au tirage sur papier. Il faut ensuite retourner à la BnF pour comparer ces épreuves avec l'original. Chaque nuance de couleur est vérifiée : tel bleu est légèrement trop froid par rapport à celui du manuscrit, tel orange trop rosé. « Un oeil néophyte ne verrait pas la différence ; pour nous elle est criante. » Puis, retour à Barcelone où ces corrections chromatiques sont prises en compte. Une nouvelle épreuve est tirée sur papier et il faut retourner à Paris pour comparer, une nouvelle fois, les épreuves corrigées avec l'original. Cependant, il ne s'agit pas d'être fidèle uniquement aux couleurs des enluminures, mais aussi à leur support. Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne ont été réalisées sur vélin, c'est-à-dire une peau de veau traitée, plus lisse et plus fine que le parchemin ordinaire. Il serait trop coûteux de reproduire les quatre cent soixante-seize pages du livre sur du vélin. M. Moleiro confectionne, dans un papier spécialement fabriqué à la main, un support dont la composition reste secrète, mais dont la texture, l'épaisseur et les tonalités sont fidèles à celles du support original. On effectue des tests d'impression pour s'assurer que les couleurs ne sont pas altérées par ce support avant de passer au tirage final. Dernier détail, les feuillets des Grandes Heures ont des contours irréguliers. Le profil de chacun d'eux est donc relevé sur les photos et dessiné à la main, et les feuilles sont ensuite découpées une par une. Mais le travail n'est pas terminé : il reste encore les rehauts d'or des enluminures. Comme sur l'original, ils sont traités à la feuille d'or. Les parties dorées de chaque image sont sélectionnées par ordinateur, puis on imprime un film transparent sur lequel elles sont toutes indiquées par un contour noir. Ce film transparent sert ensuite à fabriquer un tampon qui présente, en relief inversé, les motifs dorés de l'image. C'est lui qui va permettre de fixer les feuilles d'or sur la page grâce à une pression et à un apport de chaleur.

On peut enfin procéder à la reliure, dernière étape de la reproduction. Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne sont reliées en galuchat. « Mais la peau de raie est un matériau trop onéreux ; on utilise donc une autre peau tannée, que l'on travaille afin d'obtenir la même qualité, la même couleur et le même grain que le matériau original. » La reliure est effectuée selon les méthodes anciennes : on procède d'abord à une révision des pages, puis à leur couture. On pose ensuite les tranchefiles. On confectionne le dos, puis les plats sont posés. Les Grandes Heures ont aussi des fermoirs en alliage argenté, élégamment orfévrés, qui sont fidèlement reproduits dans le même matériau, grâce à un moule fabriqué à partir de photos. Après un an de travail, la reproduction des Grandes Heures d'Anne de Bretagne est bien un « quasioriginal » et l'entreprise M. Moleiro pourrait faire sienne la devise personnelle d'Anne de Bretagne : «Non mudera », je ne varierai point...

BÉNEDICTE BONNET-SAINT-GEORGES

Préférences en matière de cookies

Nous utilisons nos propres cookies et ceux de tiers pour améliorer nos services en analysant vos habitudes de navigation. Pour plus d'informations, vous pouvez lire notre politique en matière de cookies. Vous pouvez accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton Accepter ou configurer ou refuser leur utilisation en cliquant ICI.