La Bible moralisée de Naples

LES BIBLES MORALISÉES

Apartir du XIIe siècle et jusqu’au XVe siècle, de grandes bibles, appelées Bibles moralisées , ont été produites en France par la volonté de la monarchie. Elles ne correspondent pas au concept commun de ce Livre. Ce sont des livres d’images, de grand format, qui racontent et expliquent la Bible.

Les textes bibliques ont été sélectionnés. Ils sont accompagnés de commentaires courts, composés par des théologiens qui ne signent pas leurs textes.

On les appelle Bibles moralisées, car les interprétations bibliques qu’elles contiennent consistent en des actualisations morales, qui se traduisent par l’utilisation d’exemples tirés du Nouveau Testament.

Contrairement à d’autres ouvrages, ici le texte biblique ne peut être dissocié de l’image. Chacune de ces bibles moralisées totalise plusieurs milliers d’illustrations qui sont des productions collectives d’ateliers... Cela permet d’imaginer la façon dont les maîtres, les assistants et les apprentis réalisaient des ouvrages aussi importants. La diversité des peintres ne semble affecter ni le développement des programmes iconographiques, ni le langage de l’image. La signification des positions et des gestes des personnages reste constante, quels que soient l’exécutant et le sujet traité. Le choix des récits bibliques et de leurs commentaires ne dépend pas de l’artiste. Il est fait par des théologiens qui connaissent aussi bien les traditions figuratives que l’Ecriture et ses interprétations.

Les Bibles moralisées constituent une somme iconographique unique. Les représentations qu’elles contiennent montrent la société médiévale dans ses activités publiques et privées, paysannes et artisanales, militaires, politiques et religieuses. On y voit les seigneurs, les laboureurs, les marchands, les bons et les mauvais prélats, les chrétiens et les juifs, les traitres et les usuriers... Le contact concret que permet l’image révèle en même temps la vie matérielle et les mentalités... Parce que c’est le rôle même de la Bible : non pas nous dévoiler le sacré, l’absolu, mais nous indiquer les chemins de sanctification que nous devons suivre. Morale, religion, sacré, sont ainsi liés pour donner le choix d’une volonté existentielle qui est en elle-même une explication du mystère.  

ROBERT LE SAGE, ROI DE NAPLES ET GRAND CHRÉTIEN

Robert le Sage, de la dynastie d’Anjou, a été à l’origine de la création de ce manuscrit de la Bible moralisée de Naples dont l’exemplaire unique est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Il a hérité de la dynastie d’Anjou installée à Naples, où il devient un modèle de justice, de sagesse et d’érudition. Il développe un mécénat qui est orchestré comme une politique culturelle. A l’image de ces grands prélats qui considéraient que religion et savoir n’étaient pas dissociables. Il fut un grand bibliophile. Avec une préférence pour les livres de morale, de philosophie, de religion, de droit et de médecine. Ce n’était pas un seigneur troubadour, mais un chevalier du Christ qui cherchait la Connaissance. De France et de toute l’Italie, il fit venir des copistes pour retranscrire des livres qui étaient la quintessence des savoirs de l’époque. Il est ce que l’on appelle un sage, et cela sera sous ce nom de Robert le Sage qu’il passera à l’histoire. Sa moralité était exemplaire. Il avait des modèles dans sa propre famille qui lui montraient la voie : Louis de Toulouse et Louis de France qui avaient été sanctifiés.

UNE BIBLE QUI PRÉSENTE LES MODALITÉS D’UNE FOI RELIGIEUSE

Le projet de copie de la Bible Moralisée de Naples s’inscrit vraisemblablement dans ce cadre de réflexion dynastique d’une famille royale qui mène sa réflexion sur Dieu en France, et en Italie, dans ce pays où la foi est entièrement liée à la politique et aux papes. Rome est le centre virtuel de l’univers chrétien. Et Naples est le grand royaume du Sud, face à une Méditerranée qui, sur ses rives un peu plus lointaines, a donné naissance à la Jérusalem céleste et au Christ.

La Bible de Naples est génériquement la reprise d’une autre Bible moralisée française, que l’on pense parisienne et datant des années 1240. Elle aurait appartenu à Charles d’Anjou, le frère cadet de Saint Louis, qui accéda au trône de Naples et de Sicile, et dont Robert le Sage sera un des successeurs. On peut noter, en la facture de la Bible de Naples, une influence du Sud de l’Europe, une marque très méditerranéenne et napolitaine. Elle est peu marquée par cet esprit gothique qui allait devenir prépondérant dans notre Europe occidentale. Il s’agit d’une Bible en français qui contient une partie de l’Ancien Testament accompagnée de moralisations. Sa partie néotestamentaire est très développée. Parce que le Moyenâge est bien plus marqué par l’approche que fait le Christ de Dieu que de la révélation de celui-ci lors de la Genèse. Ce sentiment chrétien du désintéressement est fondamental pour comprendre la chevalerie et la raison monarchique. Les 76 pages qui révèlent la passion du Christ se ressentent de cette approche. Elles ont une qualité d’expression exceptionnelle, qui a frappé les historiens d’art qui ont eu la chance de pouvoir contempler cet ouvrage.. « L’illustration traditionnelle en vignettes est ici abandonnée au profit de registres rectangulaires davantage ancrés dans la tradition italo antique, et plus en phase avec les bandes de peintures à fresques qui fleurissent depuis 1300 sur les vastes pans d’édifices nouveaux à décorer. Cette Bible présente une juxtaposition, dans un même volume, de deux formules iconographiques qui en font un objet à part. Les 128 premières peintures de la section vétérotestamentaire sont enchâssées dans un encadrement divisé en deux registres, la partie supérieure étant réservée aux scènes bibliques et celle du dessous à leur moralisation. Les 76 peintures à pleine page du cycle néo-testamentaire tranchent radicalement sur ce qui précède en nous introduisant dans un environnement figuratif et spirituel différent, d’inspiration majoritairement giottesque ».