Bible moralisée de Naples

f. 30v (Gn 41, 41-44 et 41, 47-54)


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« Ici fet pharaon vestir ioseph de riches / robes e le fist monter en i curre dor e le fist / aorer a sa gent et li bailla la cure de sa terre Ici vient ioseph si fet enplir / les granches son seignor de / ble les vij anees. Les autres vij anees / monstra que li bles nestoient / pluz et si le desola »

L’image est plus riche que le texte. Pharaon désigne Joseph comme gouverneur de l’Egypte ; il lui offre un anneau sigillaire, lui fait remettre une belle robe et le fait adorer par le peuple, après l’avoir fait monter sur un char d’apparat, ici un char à deux roues d’or tiré par deux chevaux gris. Selon Cassiodore, Joseph aurait inauguré la fonction de « préfet du prétoire », dont le principal attribut était un carpentum, un carrosse à quatre roues tiré d’abord par quatre chevaux, puis ensuite par des bœufs, d’où la légende des rois fainéants. L’importance de ce char d’apparat a toujours été soulignée dans l’iconographie tardo-antique et médiévale, même si ces carrosses mal compris affectent souvent l’allure d’un rustique chariot. Joseph fait ensuite remplir les greniers de gerbes de blé, puis désigne tristement les maigres épis des sept mauvaises années. Dans les deux Bibles de Vienne, Joseph sur son char est la figure du Christ de l’Ascension, et Joseph faisant provision de blé, celle du Christ en buste apparaissant à ses disciples à la Pentecôte. La Bible de Naples retient le schéma de la Pentecôte, mais l’associe à Joseph faisant provision de belles gerbes. L’Ascension est laissée de côté et remplacée par une curieuse figure du Père en buste tendant une belle robe verte au Christ qui reçoit l’hommage de deux dévots à genoux. La glose de Naples est pourtant semblable à celle de la Bible française de Vienne. Dans aucun de ces deux manuscrits, la mention de « Jésus revêtu par le Père de la belle chair de la Vierge » n’a trouvé un écho figuré. Quant aux maigres épis que désigne Joseph, dans la Bible de Naples, ce sont les mauvaises gens que désigne le Christ ; il les désole et ceux-ci meurent de faim. Ces mauvaises gens qui sont des juifs dans la Bible latine de Vienne ne sont pas accompagnés derrière le Christ par les Egyptiens devenus le peuple de Dieu. Les Bibles en trois volumes répercutent par le don du char et la mise en réserve du blé des années grasses l’Ascension et la Pentecôte des Bibles de Vienne. Les mauvais épis que montre Joseph à Pharaon et à son peuple sont à nouveau des juifs et des usuriers que le Christ, assis sur une nuée, le flanc découvert, destine à une gueule d’Enfer (T I, f. 22r). Il est évident que l’auteur de ce folio dans le modèle perdu de la Bible de Naples n’avait pas sous les yeux la Bible française de Vienne, pas plus qu’aucune autre. Le scénario qui nous est proposé, tout aussi approximatif que celui des deux folios précédents, est le fruit d’un assemblage élaboré à partir d’un dossier préparatoire commun, un lot de figura et d’images à l’état d’esquisses, un lot de textes, le tout sur des cahiers séparés, voire même, comme l’avait fait Blaise Pascal pour les fragments de ses Pensées, sur des morceaux de parchemin réunis sur un fil.

Yves Christe
Université de Genève
Marianna Besseyre
Centre de recherche sur les manuscrtis enluminés, Bibliothèque nationale de France
(Extrait du volumen de commentaires Bible moralisée de Naples)


f. 30v (Génesis 41, 41-44, 47-54)

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f. 30v (Gn 41, 41-44 et 41, 47-54)

« Ici fet pharaon vestir ioseph de riches / robes e le fist monter en i curre dor e le fist / aorer a sa gent et li bailla la cure de sa terre Ici vient ioseph si fet enplir / les granches son seignor de / ble les vij anees. Les autres vij anees / monstra que li bles nestoient / pluz et si le desola »

L’image est plus riche que le texte. Pharaon désigne Joseph comme gouverneur de l’Egypte ; il lui offre un anneau sigillaire, lui fait remettre une belle robe et le fait adorer par le peuple, après l’avoir fait monter sur un char d’apparat, ici un char à deux roues d’or tiré par deux chevaux gris. Selon Cassiodore, Joseph aurait inauguré la fonction de « préfet du prétoire », dont le principal attribut était un carpentum, un carrosse à quatre roues tiré d’abord par quatre chevaux, puis ensuite par des bœufs, d’où la légende des rois fainéants. L’importance de ce char d’apparat a toujours été soulignée dans l’iconographie tardo-antique et médiévale, même si ces carrosses mal compris affectent souvent l’allure d’un rustique chariot. Joseph fait ensuite remplir les greniers de gerbes de blé, puis désigne tristement les maigres épis des sept mauvaises années. Dans les deux Bibles de Vienne, Joseph sur son char est la figure du Christ de l’Ascension, et Joseph faisant provision de blé, celle du Christ en buste apparaissant à ses disciples à la Pentecôte. La Bible de Naples retient le schéma de la Pentecôte, mais l’associe à Joseph faisant provision de belles gerbes. L’Ascension est laissée de côté et remplacée par une curieuse figure du Père en buste tendant une belle robe verte au Christ qui reçoit l’hommage de deux dévots à genoux. La glose de Naples est pourtant semblable à celle de la Bible française de Vienne. Dans aucun de ces deux manuscrits, la mention de « Jésus revêtu par le Père de la belle chair de la Vierge » n’a trouvé un écho figuré. Quant aux maigres épis que désigne Joseph, dans la Bible de Naples, ce sont les mauvaises gens que désigne le Christ ; il les désole et ceux-ci meurent de faim. Ces mauvaises gens qui sont des juifs dans la Bible latine de Vienne ne sont pas accompagnés derrière le Christ par les Egyptiens devenus le peuple de Dieu. Les Bibles en trois volumes répercutent par le don du char et la mise en réserve du blé des années grasses l’Ascension et la Pentecôte des Bibles de Vienne. Les mauvais épis que montre Joseph à Pharaon et à son peuple sont à nouveau des juifs et des usuriers que le Christ, assis sur une nuée, le flanc découvert, destine à une gueule d’Enfer (T I, f. 22r). Il est évident que l’auteur de ce folio dans le modèle perdu de la Bible de Naples n’avait pas sous les yeux la Bible française de Vienne, pas plus qu’aucune autre. Le scénario qui nous est proposé, tout aussi approximatif que celui des deux folios précédents, est le fruit d’un assemblage élaboré à partir d’un dossier préparatoire commun, un lot de figura et d’images à l’état d’esquisses, un lot de textes, le tout sur des cahiers séparés, voire même, comme l’avait fait Blaise Pascal pour les fragments de ses Pensées, sur des morceaux de parchemin réunis sur un fil.

Yves Christe
Université de Genève
Marianna Besseyre
Centre de recherche sur les manuscrtis enluminés, Bibliothèque nationale de France
(Extrait du volumen de commentaires Bible moralisée de Naples)


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